Chabada's blog

mercredi 6 mars 2013

L'Impératrice de notre nuit

Un vieux texte qui date de 2010 je crois !

Nous nous sommes arrêtés. Les lourdes armures posées à terre, l’or continue à briller. Ce soir, le cliquetis des armes sonne faux, il est étrangement menaçant. Le ciel écarlate qui chevauche le monde ne promet guère de lendemains merveilleux. Nous sondons la terre. Elle est sèche et muette. Sous nos pas écrasants, elle s’est inclinée. Les tambours ne battent plus, tout comme nos cœurs paralysés. La peur. La peur de découvrir, au-delà des collines, l’ennemi. La Reine vaporeuse se balance sur son trône. Son visage sélénien n’atténue même pas notre angoisse. Ses yeux indigo sont poudrés de rêves. Elle imagine son royaume sauvage glisser sur le monde ténébreux et, parcourant les allées du temps, briller de mille feux. Mais l’heure est à la bataille, aux sacrifices, aux hurlements, aux tiraillements, à l’agonie, aux morts. Propulsée dans la réalité, la Reine se décide à élaborer une tactique. Elle écoute les capitaines, statique. Sa chevelure boréale danse doucement sur ses épaules laiteuses. Son regard, las, suit pourtant avec ferveur les gestes précipités des chefs d’armée.

Bientôt, nous abordons les rivages de l’effroi. La Reine nous pousse dans les bras de la mort, ses rêves en suspension dans son regard brumeux. Elle nous donne en pâture aux créatures enragées, de l’autre côté des collines d’émeraude. Peut-être est-ce la dernière couleur que nous verrons… Quelle est donc la couleur de la mort ? Un arc-en-ciel terni ? Un camaïeu de souffrances ? Un bleu profond, celui des iris de notre Reine, impératrice de notre nuit. Avec une conviction immuable, la Reine pointe l’horizon de son index : « Allez ! » souffle-t-elle. Son murmure caresse l’armée et la glace.

mardi 8 février 2011

Tes exigences dépassent les galaxies

L’instant présent. Il faut traverser le monde, ne pas s’arrêter sur les élans du cœur. Celui-ci pense très mal, complètement étourdi par les sollicitations extérieures qui ne veulent rien dire. Ces mots n’ont aucun sens. Cet appel est faux. Cette tendresse est fourbe. Personne ne marche à tes côtés.
Il faut viser loin, éviter le « tout à côté ». C’est en avant, vers l’inconnu, que l’air est doux. Les questionnements n’ont pas lieu d’être. Tu respires. Tu regardes. Tu vis. Un battement de cœur pour chaque découverte. Tu t’attaches aux gens, le temps d’une rencontre. Tu peux le faire, ils n’auront pas le temps de te décevoir puisque tu ne resteras pas. Et tu ne t’attacheras à rien d’autre puisque rien n’est vrai.
Il faut se contenter de vivre, de regarder les éclats de rire du soleil. Peu importe les passages, saisis les souvenirs chauds. Tes exigences dépassent les galaxies, ne demande pas l’impossible. Prends les gens comme ils sont, frôle-les, garde leur sourire en souvenir, et n’espère pas qu’ils t’accompagnent jusqu’à la nuit. Quelques saisons ensemble suffiront, pour éviter de découvrir, plus tard, leur superbe indifférence à l’égard de ton existence.

mardi 8 juin 2010

Là-bas, au-dessus du monde...

Le monde n’en finit pas de tourner. Le même mouvement lent et éternel maintenu par cet amas d'êtres fourmillants. Tu essaies de l’attraper ce cycle ennuyeux, mais tu avances trop vite. Tes pensées, là-bas, n’attendent pas. Cet ailleurs, où est-il ?
Tes pensées, constantes, liées pourtant à ce monde soporifique, électrisent le cycle. Ton cycle à toi t’emporte hors du monde. Tes mots te propulsent vers l’incompréhension universelle. Tu es seul. Là-bas, au-dessus du monde...
Tu te penches doucement au-dessus des gémissements du monde. Tu es là. Tu pioches des mots, des mots de velours et tu les déposes sur les êtres. Tu es là, toujours là.
Mais lorsque des pensées troubles empoisonnent ton cerveau, que ton coeur noircit, durcit, lorsque ton estomac se déchire, tu es seul. Toujours seul. Lorsque tu appliques un silence révélateur sur le temps qui s’écoule, tu es seul, toujours seul. Là-bas, au-dessus du monde...
Tu as eu peur de te jeter dans le précipice doré qui a propulsé les autres dans les étoiles. Tu aimerais les rejoindre, t’abreuver de futilités propres à la vie réelle –leurs étoiles à eux-, mais c’est au-dessus de tes forces... Tu suis les chemins désertés, malheureux. Tu les traverses avec une conviction extrême : tu es unique. Tes journées rampent vers une fin désolante. La paix, tu ne la trouveras jamais. En es-tu certain ? Parce que eux se sont amassés sur les routes à angle droit, tu devrais les suivre ? Sur le monde rugissant, il y a un autre chemin, un parcours bienfaiteur, celui de la passion. Il faut suivre le soleil, se brûler jusqu’à l’envie. Applaudir le pied de nez que fait la passion à la vie. Sans passion tu n’es rien petite vie !
Je te promets qu’il existe un chemin vers un ailleurs. Un tracé calqué sur les artères qui mènent à ton coeur. Je te promets qu’il existe cet être bienveillant, cet ami. Je te promets qu’il s’élèvera vers toi et qu’il prononcera ces paroles incroyables : « je suis ici pour toi ». Il apportera un écho à ta voix perdue dans l’immobilité humaine.
« POUR TOI ».


Pour R...

mercredi 12 mai 2010

La jeune fille au manteau bleu électrique

Voici un texte inspiré d'une jeune fille que je croise souvent. Un jour, j'ai commencé à la dessiner. Le lendemain, la jeune fille au manteau bleu électrique s'est assise en face de moi dans le tramway ! J'ai souri.







La jeune fille au manteau bleu électrique

Le regard étonné. Pourtant elle semble savoir exactement ce qu’elle fait. Pas de sac à main. Son manteau bleu et ses bottes noires.
Observatrice. Elle regarde les gens. Elle étudie.
Elle sait exactement où elle va. Elle prend le tram à une station déserte, au milieu des facs, entre deux espaces verts. Attention à toi, jeune fille, le soir quand tu rentres.
Elle trottine, les mains dans les poches bleues. Sa longue queue de cheval se balance au rythme de son déhanché. Mignon. Elle m’apparaît souvent, bien trop souvent pour croire que ces rencontres sont des coïncidences.
Trottine, trottine...
Elle sait exactement ce qu’elle fait.
Les petites bottes noires toujours aux pieds, le petit éclair bleu longe les façades à peine chauffées par le pâle soleil d’hiver. Je retrouve toujours la jeune fille à une station de tram, toujours. J’en suis presque déçu, je pensais qu’elle s’évaporait, passant d’un lieu à un autre dans un nuage bleu électrique.
Trottine, trottine...
Aujourd’hui, elle semble ne pas voir les gens. Son regard transperce les corps, à quoi songes-tu ? Les yeux grand ouverts, la vie défile devant elle. Ces gens qui se débattent avec le quotidien. Pourtant, c’est elle la vie. Elle l’incarne merveilleusement avec sa fraîcheur, son insouciance à peine brouillée par une sagesse perceptible dans ses yeux ébène.
Je n'ose pas t’aborder, tu sembles inaccessible, je ne veux pas briser ce doux instant posé en équilibre sur le monde agité.
Elle flotte dans l’instant, elle se meut, fantôme bleu dans le maelström terrestre. Elle entre dans la rame du tram, tous les regards se posent sur elle. Une impression ? Les passagers dessinent un mouvement commun vers elle, attractive. Elle dompte le temps, il s’étire indéfiniment vers un possible futur. Sibylle d’azur. Elle recueille nos questionnements, nos peurs, nos espoirs. Elle apaise le moment pénible du plongeon dans la longue journée de travail.

samedi 17 janvier 2009

Aventure humaine X

Un texte que j'avais écrit sur le thème "Concombres et cacahuètes".


Comme j’ai absorbé la cacahuète…

L’été est la saison des promesses. Une pause avant le branle-bas de combat, avant la lutte contre la grisaille, la routine et le temps.
On se retrouve chaque année dans la maison familiale de notre pote Christine. Dans notre cocon de soleil, nous oublions les rumeurs du monde. On sourit, on gesticule, on a chaud, on rit, on hurle, on se goinfre.
La fraîcheur des condiments apaise les brûlures infligées tout au long de l’année. C’est l’été qui s’invite dans nos bouches. Tout est oublié. Nous attendons les bouffes du mois d’août avec impatience. C’est Christine qui s’y colle, spécialiste de la cuisine « lounge, d’jeun’s, staïle, éditions Marabout ». Elle ose tout, mélange tout, tyran des fourneaux. Notre petite toque rose refuse toute aide, craignant de devoir supporter nos réflexions sur ses excentricités culinaires. Elle sait qu’on aime ça, même si notre estomac palpite à l’arrivée de chaque plat, car nous aimons les surprises, même les fiascos.
Cet été, Christine a encore eu une idée incongrue. Spécialiste des petites facéties culinaires comme le flan aux airelles et nutella, le poulet pastis-gruyère, elle nous a sorti la salade exotique. Curieusement, elle a laissé de côté son audace, la salade est d’une simplicité inquiétante. Mais je découvre qu’un étranger s’est lové dans la banale salade, mes habitudes gastronomiques estivales sont bouleversées. Une cacahuète. Des cacahuètes. Des cacahuètes dans la salade. Glissées sensuellement entre les tranches de concombre, elles révèlent le parfum d’une terre lointaine.

L’arachide tambourine dans ma bouche. Symphonie sur ma langue, les morceaux de cacahuètes dégagent une poussière de soleil. La terre ocre du sol brûlant se mélange à ma salive, le liquide ambre parcourt mon corps en imprégnant mes artères de la saveur puissante. Elle grandit en moi. Elle s’impose jusque dans mon esprit. Alors, des baobabs imposants découpent le ciel feu. Les flammes marquent les battements de mon cœur affolé. Mes pieds caressent le sol aride, l’herbe sauvage craque. J’entends des chants suaves, cadencés par la marche des couleurs brûlantes devant mes yeux. Je respire des rêves ardents, cramoisis. Je sens la terre. Elle m’absorbe. Comme j’ai absorbé la cacahuète. Elle me digère. Mes sensations explosent, je sens la flamme originelle s’épanouir, offrir un espace infini d’images sincères, essentielles. C’est chaud, c’est violent et doux à la fois. C’est vivant !
Puis, le calme. La sérénité après l’expérience explosive.

Une tranche de concombre passe dans mon gosier. C’est con un concombre. Et pourtant, cette vague de fraîcheur me permet de déguster une parcelle de temps immobilisé avant l’absorption d’une deuxième cacahuète. Le repos avant le doux bouillonnement.
Mon assiette terminée, je reprends mes esprits. L’Afrique n’est plus qu’une légère saveur au coin de ma langue. Les concombres la recouvrent de leur fadeur. Elle résiste. Jusqu’à la fin du repas, les cacahuètes supplantent tous les mets avalés.
Christine remarque ma drôle d’expression. Aucune de ses prestations culinaires ne m’avait laissé dans cet état. Je lui souris pour la rassurer. Ses yeux noisette m’interrogent. J’ai la sensation qu’elle comprend mon état d’urgence. Les flammes ardentes sont-elles visibles dans mon regard ? Je n’ose pas lui révéler le voyage qu’une… Qu’une petite cacahuète m’a fait faire. Suis-je fou ? Au moment du verdict, tous mes potes expriment leur enthousiasme pour cette « banale » salade.
« Le mariage concombres/cacahuètes, quelle bonne idée ! »
« Je n’y aurais jamais pensé ! »
« Et on découvre les cacahuètes cachées dans le concombre, c’est rigolo ! »
Dans ce flot de banalités, je ne peux m’empêcher de lâcher la pire de toutes : « c’est une invitation au voyage ! ». S’en suit une conversation sur l’arachide, la pousse des cacahuètes et le beurre de cacahuètes. La cacahuète vole la vedette au concombre. C’est triste un concombre.

J’ai besoin de me retrouver. Je quitte la tablée pour faire quelques pas un peu plus loin dans le jardin. Christine me rejoint.
-« L’exotisme te plaît ? »
J’esquisse un sourire moqueur.
-« Tu sais, c’est comme si… Ah ! C’est comme si je m’étais ressourcé. Se ressourcer dans une salade, c’est dingue, hein ? Une cacahuète qui te fait vivre des sensations inédites ! Y avait du cannabis dans la salade ?
- Je suis contente…
- Ah, apparemment, oui, y en avait…
- C’est vrai, Je suis contente que ma salade t’ait transporté…
- Ha ha ha ! C’est surréaliste !
- Non, ce que tu as ressenti, ce flux d’images, de…
- Quoi ?! Toi aussi tu as vécu ça ?
- Oui… »
Le silence qui suit n’est même pas gênant. Christine me laisse le temps de rassembler mes pensées, de mettre un semblant d’ordre dans cette confusion absurde et moi je prends le temps de paniquer, naturellement.
Christine reprend la conversation, elle sait ce qu’il se trame dans ma petite caboche.
-« J’ai ramené moi-même ces cacahuètes d’Afrique. Elles ont une histoire. »
Abasourdi par la situation irréelle, je m’assois dans l’herbe, Christine accompagne mon mouvement.
Je veux connaître le secret surnaturel de ces cacahuètes, alors je continue à parler :
-« Tu veux dire que ces cacahuètes ont des propriétés euh… « magiques » ?!
- Oui, une sorte d’envoûtement… Lorsqu’elles ont poussé, elles ont recueilli dans la terre les éléments essentiels.
- « Eléments essentiels » ?
- Oui, le rythme du continent, les couleurs de son temps, les parfums naturels, le souffle de la vie, tous ces éléments essentiels qui nous permettent de rester vivant, de donner un sens à l’existence. »
Je comprends à présent l’immensité de la cacahuète. En la croquant, j’ai exploré la vie, pulvérisé la notion du temps, savouré le kaléidoscope de l’éternité.
La bête salade d’un été m’aide à affronter les nombreuses années de ma vie. Je suis rechargé. Pourquoi nos amis n’ont-ils rien ressenti ? Peut-être parce que notre vision du monde et de la vie est autre. Nous n’avons pas de chemin tracé. Nous refusons le pack « vie prédéfinie » incluant les options « maison », « chien », « enfants », « scénic ».
Un lien intime nous unit désormais, Christine et moi, c’est une cacahuète, élément primordial de l’été de notre vie.